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Quand l’expérience vécue guide la recherche : Rencontre avec Camille Lavoie

Dans le cadre du projet PREVENS (Prévenir ensemble), axé sur la prévention du suicide chez les adolescentes âgées de 14 à 19 ans vivant en milieu rural, des billets informatifs seront publiés deux fois par mois. Ces billets mettront principalement en lumière l’expérience de Camille, experte du vécu au sein de notre équipe de recherche, afin de mieux comprendre l’importance d’intégrer les acteurs concernés dans le développement d’un projet de recherche.

Pour ce premier billet, j’ai réalisé une entrevue avec Camille le 11 septembre dernier, qui nous partage les raisons qui l’ont motivée à rejoindre notre projet.

Alors, Bonjour Camille, merci d’être avec moi aujourd’hui,  est-ce qu’avant tout tu voudrais te présenter pour qu’on en sache un peu plus sur toi?

Bonjour,‬‭ je‬‭ m’appelle‬‭ Camille‬‭ Lavoie,‬‭ j’ai‬‭ 18‬‭ ans.‬‭ dans‬‭ la‬‭ vie‬‭ de‬‭ tous‬‭ les‬‭ jours,‬‭ je‬‭ suis‬‭ une‬ personne‬‭ pleine‬‭ d’énergie,‬‭ de‬‭ projets,‬‭ de‬‭ joie‬‭ et‬‭ d’enthousiasme.‬‭ Je‬‭ travaille‬‭ dans‬‭ une‬‭ garderie‬ avec‬‭ des‬‭ poupons‬‭ et‬‭ je‬‭ vais‬‭ à‬‭ l’école‬‭ pour‬‭ adultes‬‭ pour‬‭ compléter‬‭ mon‬‭ secondaire.‬‭ J’adore‬‭ les‬ animaux,‬‭ j’ai‬‭ un‬‭ chat,‬‭ un‬‭ chien‬‭ et‬‭ je‬‭ fais‬‭ de‬‭ l’équitation.‬‭ Je‬‭ veux‬‭ aller‬‭ au‬‭ cégep‬‭ en‬‭ soins‬‭ infirmiers‬ et‬‭ m’enrôler‬‭ dans‬‭ l’armée‬‭ pour‬‭ aller‬‭ faire‬‭ de‬‭ l’aide‬‭ humanitaire‬‭ dans‬‭ les‬‭ régions,‬‭ pays‬‭ vivant‬‭ des‬ catastrophes naturelles.‬

Peux-tu nous parler des défis que tu as rencontrés avec ta santé mentale et de ton expérience dans les hôpitaux? 

Je‬‭ dis‬‭ être‬‭ une‬‭ personne‬‭ pleine‬‭ de‬‭ joie,‬‭ de‬‭ projets‬‭ et‬‭ d’enthousiasme,‬‭ mais‬‭ ça‬‭ n’a‬‭ pas‬‭ toujours‬ ‭été‬‭ le‬‭ cas.‬‭ À‬‭ 7‬‭ ans,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ un‬‭ diagnostic‬‭ d’anxiété‬‭ généralisée,‬‭ à‬‭ 10‬‭ ans,‬‭ j’ai‬‭ perdu‬‭ mon‬‭ meilleur‬ ami.‬‭ À‬‭ 12‬‭ ans,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ un‬‭ diagnostic‬‭ d’anorexie.‬‭ À‬‭ 13‬‭ ans,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ ma‬‭ première‬‭ hospitalisation‬‭ en‬ pédopsychiatrie‬‭ pour‬‭ des‬‭ troubles‬‭ alimentaires‬‭ et‬‭ des‬‭ idées‬‭ suicidaires,‬‭ je‬‭ ne‬‭ voyais‬‭ plus‬‭ le‬‭ bout‬ de‬‭ ma‬‭ souffrance.‬‭ Quelques‬‭ mois‬‭ plus‬‭ tard,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ ma‬‭ deuxième‬‭ hospitalisation‬‭ pour‬‭ des‬ troubles‬‭ du‬‭ comportement‬‭ alimentaire.‬‭ J’ai‬‭ commencé‬‭ à‬‭ avoir‬‭ plus‬‭ de‬‭ comportements‬ dommageables,‬‭ comme‬‭ de‬‭ l’automutilation‬‭ et‬‭ des‬‭ comportements‬‭ compensatoires‬‭ au‬‭ niveau‬‭ de‬ mon‬‭ alimentation.‬‭

À‬‭ 15‬‭ ans,‬‭ en‬‭ avril‬‭ 2022,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ ma‬‭ troisième‬‭ hospitalisation‬‭ forcée,‬‭ j’ai‬‭ été‬ gavée,‬‭, car‬‭ mon‬‭ trouble‬‭ alimentaire‬‭ était‬‭ devenu‬‭ trop‬‭ dangereux,‬‭ je‬‭ voulais‬‭ me‬‭ laisser‬‭ mourir‬‭ de‬ faim.‬‭ Cette‬‭ hospitalisation‬‭ a‬‭ duré‬‭ deux‬‭ mois‬‭ et‬‭ demi.‬‭ Par‬‭ la‬‭ suite,‬‭ j’ai‬‭ été‬‭ prise‬‭ en‬‭ charge‬‭ plus‬ sérieusement‬‭ par‬‭ une‬‭ équipe‬‭ en‬‭ pédopsychiatrie‬‭ et‬‭ je‬‭ me‬‭ suis‬‭ mise‬‭ à‬‭ aller‬‭ mieux.‬‭ Comme‬‭ dans‬ toutes‬‭ les‬‭ guérisons,‬‭ j’ai‬‭ eu‬‭ une‬‭ rechute‬‭ en‬‭ octobre‬‭ 2022‬‭ et‬‭ je‬‭ suis‬‭ retournée‬‭ à‬‭ l’hôpital.‬‭ Cette‬ hospitalisation‬‭ a‬‭ été‬‭ plus‬‭ significative‬‭ pour‬‭ moi‬‭ que‬‭ les‬‭ trois‬‭ précédentes,‬‭ j’ai‬‭ réellement‬‭ décidé‬ de‬‭ me‬‭ prendre‬‭ en‬‭ main.‬‭ Les‬‭ idées‬‭ noires‬‭ étaient‬‭ encore‬‭ présentes‬‭ et‬‭ mon‬‭ trouble‬‭ alimentaire‬ aussi,‬‭ mais‬‭ j’ai‬‭ décidé‬‭ de‬‭ ne‬‭ pas‬‭ les‬‭ laisser‬‭ gagner‬‭ cette‬‭ fois.‬‭

En‬‭ octobre‬‭ 2023,‬‭ j’ai‬‭ décidé‬‭ d’aller‬ à‬‭ l’Adoberge,‬‭ une‬‭ maison‬‭ pour‬‭ les‬‭ jeunes‬‭ vivants‬‭ des‬‭ difficultés,‬‭ les‬‭ deux‬‭ mois‬‭ que‬‭ j’y‬‭ aie‬ passés‬‭ n’ont‬‭ vraiment‬‭ pas‬‭ été‬‭ facile,‬‭ mais‬‭ j’ai‬‭ réussi‬‭ à‬‭ me‬‭ fixer‬‭ des‬‭ objectifs,‬‭ des‬‭ rêves,‬‭ j’ai‬ réussi‬‭ à‬‭ retrouver‬‭ la‬‭ Camille‬‭ qui‬‭ n’est‬‭ pas‬‭ malade‬‭ et‬‭ qui‬‭ ne‬‭ laisse‬‭ pas‬‭ une‬‭ maladie‬‭ décider‬‭ de‬‭ ce‬ qu’elle fait de sa vie.‬ Je‬‭ peux‬‭ maintenant‬‭ dire‬‭ qu’en‬‭ 2024‬‭ je‬‭ suis‬‭ une‬‭ survivante‬‭ de‬‭ tout‬‭ ce‬‭ que‬‭ j’ai‬‭ vécu,‬‭ malgré‬‭ les‬ pensées‬‭ destructrices‬‭ que‬‭ j’ai‬‭ encore‬‭ parfois,‬‭ mais‬‭ cette‬‭ fois,‬‭ je‬‭ ne‬‭ les‬‭ laisse‬‭ plus‬‭ prendre‬‭ le ‬dessus.‬

Wow, merci beaucoup pour ta transparence et ton message pleins d’espoir. Je vois en toi beaucoup de courage et de résilience.  Ton parcours est inspirant. Peux-tu me dire qu’est-ce qui t’a motivé à te joindre à notre équipe de recherche et comment cela a été possible?

Mon père connaît bien Nathalie et a même participé à l’épisode 2 du balado Parler pour vivre, où il a partagé son expérience en tant que parent d’un enfant ayant des idées suicidaires. Au fil du temps, Nathalie me parlait de ses projets, et récemment, elle m’a proposé de rejoindre l’équipe de recherche du projet PREVENS.

J’ai accepté, car durant mes hospitalisations, je n’ai pas vécu l’expérience que j’aurais souhaitée. Je n’ai pas eu l’écoute ni les ressources nécessaires pour m’aider à aller mieux. En m’impliquant dans ce projet, j’espère contribuer à améliorer les choses pour les futures adolescentes en détresse, afin qu’elles puissent recevoir le soutien dont elles ont réellement besoin

Oui c’est super ce que tu nommes et on est vraiment content.e.s de t’avoir avec nous dans l’équipe. Alors, jusqu’à maintenant, nous avons eu deux rencontres pour préparer la pré-demande du projet qu’on veut soumettre au Fonds de recherche du Québec (FRQ) dans le but d’obtenir du financement. Peux-tu nous parler de ton expérience durant ces deux rencontres avec la chercheuse principale Nathalie Maltais et les autres membres cochercheurs de l’équipe

Oui, bien premièrement j’étais vraiment contente de voir combien il y avait de personnes qui avaient à cœur la santé mentale des jeunes. Je me suis sentie vraiment bien accueillie et impliquée, malgré le fait que je n’ai pas fait d’ études en soins infirmiers ou en santé mentale. Je suis certaine que ça va aider les jeunes. 

J’en suis certaine aussi! Est-ce qu’il y a des choses que tu as trouvé difficile de ton expérience jusqu’à maintenant que tu aimerais nous partager? 

Je dirais que, durant la première rencontre avec un cochercheur, j’ai dû défendre mon point de vue un peu plus. J’avais à cœur de défendre ma perception, malgré ce que les études pouvaient démontrer. Mis à part ce petit détail, je n’ai pas vraiment vécu de difficulté. Je me sens bien accueilli au sein de l’équipe. 

Je suis vraiment heureuse d’entendre que tu te sentes accueillie. Ce projet d’action est différent, car il s’agit d’une recherche-action qu’on dit participative. Ce type de recherche assure la participation de tous les acteurs concernés au phénomène qu’on étudie. C’est la raison pour laquelle ta participation est importante, pour donner une voix aux adolescentes qui vivent de la détresse psychologique. On tente également d’éviter des rôles ou des positions hiérarchiques ou certain.e.s auraient des rôles qu’on qualifierait de pouvoirs. Ce type d’étude vise à ce que chaque membre de l’équipe soit sur un même pied d’égalité. 
Sens-tu que tu as la même place que tout le monde dans ce projet?

Oui je me sens au même pied d’égalité que tout le monde!

Super! Aimerais-tu ajouter quelque chose d’autre en lien avec ton expérience ou ton vécu que tu juges important de nommer?

Oui, en fait, je voulais partager quelque chose. J’ai remarqué que les professionnels, parfois, évaluent leurs interventions en se basant beaucoup sur ce qu’ils ont appris dans les livres ou au cours de leur formation. Par exemple, avec une psychologue, je tentais de lui expliquer ma réalité, mais j’avais l’impression qu’elle s’appuyait trop sur une approche “by the book”. Même si je lui partageais ma perspective, elle revenait toujours à ce qu’elle savait sur le sujet. Ça m’a donné le sentiment de ne pas être vraiment écoutée. J’espère que ma participation à ce projet de recherche pourra contribuer à sensibiliser les professionnels sur l’importance d’écouter les vécus individuels.

Merci de partager cela, c’est une réflexion vraiment importante. Ce que tu décris met en lumière la différence entre la théorie apprise en formation et la richesse du vécu individuel. Il arrive parfois que les professionnels, dans leur désir d’aider, s’appuient sur leurs connaissances ou leurs outils théoriques, car c’est leur repère pour bien intervenir. Cependant, ton expérience illustre combien il est essentiel de combiner cette expertise avec une écoute active et un réel intérêt pour la réalité de la personne en face. Il semble que dans cette situation, le dialogue n’a pas été équilibré, et cela a pu te laisser le sentiment de ne pas être pleinement soutenue. Ton partage est précieux, car il montre l’importance pour les professionnels d’adopter une approche plus flexible et centrée sur la personne qu’ils accompagnent.

Exactement oui. 

Merci beaucoup pour tes réponses riches. Avant de quitter Camille, quel serait ton mot de la fin?

Mon but dans ce projet de recherche est de créer un lien de confiance avec les jeunes adolescentes qui participent au projet et surtout de vous guider dans la manière d’approcher ces adolescentes. C’est vraiment important de créer un bon lien de confiance pour qu’elles puissent s’exprimer ouvertement. 

Tu as tout à fait raison, le lien de confiance est extrêmement important quand on fait une recherche de ce genre.
Merci beaucoup Camille pour cette entrevue et je voulais avant qu’on se quitte, te souligner l’importance que ton rôle a au sein de notre équipe!

Rebecca Savard étudiante à la maitrise en sciences infirmières à l’UQAR (campus Lévis)

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