Cette semaine marque la 35e Semaine de prévention du suicide, avec pour thème Mieux vaut prévenir que mourir (Association québécoise de prévention du suicide, 2025). Elle porte à l’avant-plan l’importance de la prévention de la détresse psychologique et du suicide, en encourageant la discussion entourant ces réalités. Et ce, malgré les craintes et l’inconfort qui y sont souvent associés. Il s’agit ainsi d’un moment opportun pour explorer les enjeux spécifiques à la recherche d’aide chez la population masculine.

La recherche d’aide représente le processus adaptatif par lequel un individu fait face aux problématiques de santé mentale en obtenant une aide extérieure. Différentes formes d’aide existent, de manière formelle, en ayant recours à un professionnel, semi-formelle, par l’utilisation de groupe de soutien, de ligne d’assistance ou en consultant des ressources d’aide disponible en ligne, ou informelle, lorsqu’obtenu auprès d’amis ou de membres de la famille (Cosh et al., 2023). Une meilleure compréhension s’avère toutefois essentielle afin de soutenir positivement le recours à la forme d’aide adaptée à la situation vécue, et ainsi permettre une orientation adéquate aux besoins réels des hommes. Les suicides étant commis, en grande majorité par les hommes, et ce partout à travers le monde. Au Québec, les taux de suicide masculin étant toujours trois fois plus élevés (20,0 par 100 000) selon le plus récent rapport publié par l’Institut national de santé publique du Québec (Levesque & Perron, 2025). Des niveaux si alarmants que certains spécialistes du milieu en parlent comme d’une « épidémie silencieuse du suicide masculin » (Whitley, 2024).
La recherche d’aide s’avère complexe chez les hommes, en raison de certaines réalités aujourd’hui mieux documentées. Ces notions essentielles entourant la santé mentale masculine sont d’ailleurs (Whitley, 2024) abordées dans le plus récent livre de Robert E. Whitley (2024), professeur agrégé au département de psychiatrie de l’Université McGill de Montréal. Elles offrent une meilleure compréhension des facteurs d’influence de la recherche d’aide chez les hommes, notamment des stéréotypes masculins (phénomène de genre connu et largement documenté).
La stigmatisation et la sous-utilisation masculine des services d’aides formels
La sous-utilisation des services formels de santé mentale est une problématique qui affecte de nombreux hommes. De multiples recherches ayant démontré que cet écart d’utilisation entre les sexes existe dans tous les milieux socioéconomiques, à tous les âges et chez tous les groupes ethnoraciaux. Pouvant s’expliquer, par une variété de facteurs, dont certains liés à des questions contextuelles, pourtant rarement considérées dans les discussions portant sur les notions dominantes de la masculinité. Les hommes présentant des problématiques de santé mentale peuvent se voir confrontés à une stigmatisation externe (médias, milieux de soins de santé, familles, etc.) particulièrement intense (Whitley, 2024). Influence non négligeable de l’autostigmatisation vécu par les hommes, soit la dimension intériorisée de la stigmatisation, faisant référence aux sentiments de honte et à la dévalorisation. Souvent associé à une faible estime personnelle ainsi qu’au retrait social de ceux-ci.
Certains concepts ayant émergé au cours des dernières années au sein de la littérature scientifique. Ils portent un regard nouveau sur des réalités importantes en soutenant également une compréhension optimale des facteurs d’influence la santé mentale masculine et de la recherche d’aide :
- l’effet de halo définit le phénomène par lequel les traits attribués aux hommes sont largement moins positifs et agréables que ceux utilisés envers les femmes. Les hommes étant souvent présentés, comme dominants et agressifs (Krys et al., 2018; Rudman & Goodwin, 2004).
- l’écart d’empathie entre les genres décrit le fait que des variations d’empathie existent entre les hommes et les femmes, alors que l’on démontre généralement moins d’empathie à l’égard des hommes et une sensibilité inférieure à leur souffrance. Cet écart pouvant également encourager le maintien d’une vision chevaleresque, par laquelle les hommes seraient moins dignes d’attention, de soins et de pardon que les femmes (Collins, 2021).
- l’angle mort à l’égard du genre masculin expose la tendance à ignorer ou à négliger les problématiques, disparités et/ou inégalités vécues par les garçons et les hommes. Les activités de recherches portant sur la santé des genres, s’intéressant à la santé des hommes de façon nettement inférieure à celle portant sur la santé des femmes. Les interventions liées au genre étant majoritairement concentrées vers les filles et les femmes, en ignorant souvent les garçons et les hommes (Seager et al., 2016; Seager et al., 2014)
Ces stéréotypes sexistes sont reconnus pour contribuer aux croyances et aux attitudes du public, en plus d’influencer des politiques gouvernementales et institutionnelles préjudiciables à la santé mentale masculine et de perpétuer l’utilisation, dans les médias, de termes péjoratifs comme le patriarcat, la masculinité toxique, la culture du viol, etc. (Whitley, 2024). Affectant ainsi considérablement la santé mentale des hommes en raison de la discrimination qu’elle engendre et de son influence sur le traitement qui leur est réservé. Par exemple, au sein des milieux d’enseignement, ou peu de programmes et d’interventions publiques s’intéressent aux problématiques d’abandon et d’exclusion scolaires chez les garçons, qui présentent d’urgents besoins d’assistance. L’abandon scolaire et la situation éducative des garçons peuvent pourtant influencer des aspects clés de la vie des hommes, notamment en entravant l’entrée des jeunes hommes dans la vie active (R. Whitley & Zhou, 2020). Un phénomène, documenté en tant que fossé éducatif entre les genres (DiPrete & Buchmann, 2013), étant souvent associé à des problématiques d’isolement, de délinquance et de consommations de drogues, par exemple. Le manque de soutien social, l’isolement et la solitude étant des facteurs de risque connu en matière de suicide (Hawkley & Cacioppo, 2010).
Finalement, de récentes études tendent à démontrer que les hommes morts par suicide avaient récemment obtenu certains services de santé. Cela contredit la croyance populaire selon laquelle les hommes sont peu enclins à la recherche d’aide. Ils le font souvent auprès de services d’aide formels, qui leur semblent pourtant peu attrayants et intrinsèquement féminins (Morison et al., 2014). Ainsi, des changements s’avèrent essentiels au sein de ces services de santé, des institutions et de la société elle-même, afin de permettre une prise en charge adéquate, en offrant des services formels adaptés aux problématiques psychosociales masculines (Whitley, 2024).
Claudia-Ève Therriault B.Sc.Inf. – Étudiante à la maîtrise en sciences infirmières
Collaboration : Nathalie Maltais inf. Ph.D
Références
Association québécoise de prévention du suicide. (2025). Mieux vaut prévenir que mourir – 35e Semaine de prévention du suicide https://aqps.info/semaine-nationale-de-prevention-du-suicide/
Collins, W. (2021). The empathy gap: Male disadvantages and the mechanisms of their neglect. eBookIt. com.
Cosh, S., McNeil, D., Jeffreys, A., Clark, L., & Tully, P. (2023). Athlete mental health help-seeking: A Systematic review and meta-analysis of rates, barriers and facilitators. Psychology of Sport and Exercise, 102586.
DiPrete, T. A., & Buchmann, C. (2013). The rise of women: The growing gender gap in education and what it means for American schools. Russell Sage Foundation.
Hawkley, L. C., & Cacioppo, J. T. (2010). Loneliness matters: A theoretical and empirical review of consequences and mechanisms. Annals of behavioral medicine, 40(2), 218-227.
Krys, K., Capaldi, C. A., van Tilburg, W., Lipp, O. V., Bond, M. H., Vauclair, C. M., Manickam, L. S. S., Domínguez‐Espinosa, A., Torres, C., & Lun, V. M. C. (2018). Catching up with wonderful women: The women‐are‐wonderful effect is smaller in more gender egalitarian societies. International Journal of Psychology, 53, 21-26.
Levesque, P., & Perron, P. A. (2025). Les comportements suicidaires au Québec : Portrait 2025. Québec, Bureau d’information et d’études en santé des populations. Institut national de santé publique du Québec.
Morison, L., Trigeorgis, C., & John, M. (2014). Are mental health services inherently feminised? The Psychologist.
Rudman, L. A., & Goodwin, S. A. (2004). Gender differences in automatic in-group bias: Why do women like women more than men like men? Journal of personality and social psychology, 87(4), 494.
Seager, M., Barry, J., & Sullivan, L. (2016). Challenging male gender blindness: Why psychologists should be leading the way.
Seager, M., Sullivan, L., & Barry, J. (2014). The Male Psychology Conference, University College London, June 2014. New Male Studies: An International Journal, , 3(2), 41-68.
Whitley, R. (2024). La santé mentale au masculin : notions essentielles. Éditions Robert Laffont.
Whitley, R., & Zhou, J. (2020). Clueless: An ethnographic study of young men who participate in the seduction community with a focus on their psychosocial well-being and mental health. PLoS One, 15(2).